Un article transmis par Jacques Chauvin, Université Inter-Ages Poitiers .
Samuel Couvertier, téléphoniste au 125 e régiment d’infanterie, est au front à Verzy et Courcy dans la Marne en avril 1917.
[("J’ai vu des soldats russes prêter serment à la Révolution")]
Samuel Couvertier était téléphoniste au 125e régiment d’infanterie. Au front, il a rédigé un journal. En 1974, il l’a retranscrit et livre alors un rare témoignage. Il a côtoyé des soldats russes à leur cantonnement et dans les tranchées.
« Après la Révolution russe, je me souviens les avoir vus rassemblés sur la place d’un village (Verzy) ; ils étaient nombreux et prêtaient serment de fidélité au nouveau régime, en levant les bras en l’air d’un seul mouvement et en criant des mots que je ne comprenais pas, devant le " Pope " qui les haranguait. Nous les avons relevés devant le village de Courcy qu’ils avaient conquis avec de grosses difficultés et de lourdes pertes. » (1).
**En avril 1917
La place du pope orthodoxe ne diffère pas de celle du curé à la Révolution. En 1790, la paroisse de Saint-Saturnin-lès-Poitiers devenant une commune, le curé a été élu procureur (2). En 1917, deux brigades du corps expéditionnaire russe participent aux batailles meurtrières à l’est du Chemin des Dames, à l’offensive Nivelle du 16 avril. Samuel Couvertier les a côtoyées entre le 30 mars, date de départ du 125e RI pour Verzy, Epernay, et le 19 avril, date de relève des troupes russes devant Courcy, conquis avec de lourdes pertes au lieu-dit Cavaliers de Courcy (3). La Révolution de février a renversé le tsar le 15 mars et engendré un double pouvoir : celui du Gouvernement provisoire auquel les soldats font allégeance, et celui du Soviet de Petrograd qui, avec les bolcheviks, réclame la paix blanche. Le 7 avril, Lénine exige l’arrêt immédiat de la guerre par la fraternisation sur le front. La Russie affole la presse. Le Journal de la Vienne le 1er juin colporte les résolutions des délégués de comités de soldats russes. Ils ne veulent plus être de la chair à canon, « un engrais destiné à fumer les champs étrangers ». Réclamant leur rapatriement, ils seront mis à l’écart pour éviter une contagion française. Le 6 juin, le Journal de la Vienne diffuse l’Appel du Comité des ouvriers et soldats russes pour l’Internationale, émis depuis Petrograd. La censure veille. Rien n’apparaît les mois suivants des mutineries au camp de La Courtine en Limousin (4). Le 125e RI ne s’y déplace plus.
**Notes
1. Verzy, au sud de Reims, est distant de Courcy, au nord, d’une trentaine de kilomètres. Depuis octobre 1912, le cordonnier Samuel Couvertier accomplit son service militaire incorporé au 125e RI à Poitiers. Le 1er août 1914, téléphoniste au 2e bataillon de la 7e compagnie, il entreprend la rédaction de son Journal de guerre. Il deviendra, par la suite, président de la Chambre de Métiers de la Vienne. En 1974 à 83 ans, il retranscrit son journal ajoutant des détails, tels ceux concernant les soldats russes : « J’ai vu les soldats russes ‒ Pendant la guerre, le 125e R.I. a combattu à côté de soldats russes pendant un certain temps. La Russie en avait envoyé un contingent. C’était certainement la fleur de ses soldats ; ils étaient grands et forts. En tranchée, ils étaient toujours à l’affût, prêts à tirer sur tout ce qui bougeait. Au repos, j’ai eu la curiosité d’aller les voir faire leur cuisine ; c’était une mixture faite d’un liquide dans lequel cuisaient de petits morceaux de lard. Ils étaient friands de notre cuisine. On nous avait défendu de leur donner du vin ; ils l’auraient conservé pour en avoir une certaine quantité et s’enivrer. » Il complète ainsi l’information d’une brochure (Le 125e Régiment d’Infanterie à la Guerre, 1914-1918. Poitiers) circulant parmi les Anciens combattants : « Le 19 avril, nous relevons les troupes russes devant le village de Courcy, qu’elles avaient conquis de haute lutte au prix de grosses difficultés et de lourdes pertes. » Brochure en ligne sur le site beauzons.fr
2. Le tsar est souverain de droit divin, à la tête de l’église orthodoxe. Le 31 janvier 1790, la paroisse de Saint-Saturnin-lès-Poitiers devenant une commune, le maire est élu à l’issue de la messe paroissiale. Le curé, Jacques Mathurin Dromain, est élu procureur après les vêpres. Le 31 janvier 1791, il refuse de prêter serment à la constitution civile du clergé.
3. La perte dans les combats d’avril 1917 aurait été de 5.000 soldats russes. Des descendants de soldats du corps expéditionnaire russe rassemblent actuellement des archives. La petite-fille de Sergeï Ivanovitch Ivanov nous fait parvenir les précisions suivantes : « Les premiers sont arrivés le 20 avril 1916 à Marseille. Dans son journal, Stéphane Gavrilenko mentionne le 12 avril, mais c’est une date orthodoxe. [Le décalage entre le calendrier julien et le grégorien est alors de 13 jours.] Il était sur le Lutetia, l’un des 6 bateaux. Les 2 plus gros, l’Himalaya et le Latouche-Tréville, ont débarqué le 20 avril. Mon grand-père était sur l’Himalaya. Il nous a laissé de nombreuses photos et un journal écrit en vers. Il a été blessé à Courcy, au début des combats du 16 au 19 avril 1917, puis envoyé dans les hôpitaux de Granville, ensuite celui de la Concorde à Saint-Servan. Une fois rétabli, il est resté comme magasinier dans cet hôpital et travaillera sous les ordres du commandant de la base russe de Laval, jusqu’à sa dissolution en juin 1920. » Elle a créé une page Facebook (en accès libre) consacrée à son grand-père. La commune de Courcy commémore les 15, 16 et 17 avril 2017 le centenaire de sa libération par les troupes russes.
4. La Gazette poitevine, entre autres, consacre des articles à la situation en Russie. Celui du 29 mars 1917, intitulé « La révolution russe », fait état de la future Constituante. Le 6 juin, le Journal de la Vienne diffuse un récent communiqué du Soviet de Petrograd (Comité des ouvriers et soldats russes pour l’Internationale). Le camp de La Courtine est un lieu d’entraînement pour les régiments. Le Courrier de la Vienne du 14 mai 1914 signale l’arrivée à La Courtine du 49e d’artillerie et du 33e (en garnison pour partie à Angers et Poitiers). Le 21 mai, ce journal annonce le départ du 125e RI pour le camp, par voie ferrée. Les soldats russes de la 1ère brigade sont arrivés le 26 juin et ceux de la 3e brigade le 5 juillet. La mutinerie a cessé le 18 septembre. Depuis 2014, le site lacourtine1917.org, labellisé Mission du Centenaire, diffuse des informations concernant le corps expéditionnaire russe et la mutinerie de 1917 à La Courtine. La photographie de cette Chronique fait partie d’un ensemble en ligne sur leur site, avec mention de « meetings de la 1ère brigade au château de Baye en Haute-Marne ». La commune de Baye est à cinquante kilomètres au sud de Reims. Ce cliché ainsi légendé est reproduit avec l’accord de lacourtine1917 et des Archives historiques du diocèse de Laval, détenteur des plaques de verre. Nos remerciements s’adressent à Anton Lindner, archiviste